Chronique stratégique
La pandémie, plus dure envers les femmes moins nanties
Réflexion basée sur le Rapport synthèse 3 du projet Résilience Les femmes moins nanties pendant la pandémie : répercussions, besoins et perspectives de Sandy Torres et Héloïse Michaud. https://cdn.ca.yapla.com/company/CPYMZxfbWTbVKVvSt3IBEClc/asset/files/Projet-rEsilience_Rapport3_final%20(2).pdf
La pandémie de COVID-19 a touché tout le monde, mais pas de la même façon ni avec la même ampleur. Les conditions de vie et de travail ont joué pour beaucoup dans la façon dont la pandémie nous a affectés. Les personnes déjà vulnérables, dont celles se situant à l’intersection de plusieurs formes d’oppressions, ont vu leurs conditions de vie se détériorer durant la pandémie. Les personnes les moins nanties et les femmes ont été plus durement affectées. En effet, la crise sanitaire a affecté plus fortement les femmes, en raison notamment de leur prédominance dans les sphères des services, de la santé et de l’éducation en contexte de confinement, de distanciation et de risques de contamination. Par ailleurs, les pertes d’emplois enregistrées durant la première année de pandémie ont touché plus fortement le secteur des services, les emplois à temps partiel et les petits salaires, secteurs où les femmes sont davantage représentées. On retrouve également plus de femmes que d’hommes ayant quitté leur emploi en raison de la crise sanitaire, ce qui laisse craindre des répercussions sur la retraite des femmes dans un avenir à moyen terme. La vulnérabilité des mères monoparentales s’est accentuée pendant la pandémie, plusieurs ayant dû quitter leur emploi en raison des responsabilités domestiques et liées aux soins des enfants. Leur taux d’emploi n’est pas revenu complètement à la normale en 2021, démontrant que leur vulnérabilité économique s’est accentuée en période pandémique, et perdure.
Travail domestique et soins
Comme à l’habitude, les femmes ont assumé une plus grande part des tâches de garde des enfants et d’école à la maison ainsi que des soins, alors que ces tâches se sont alourdies avec la fermeture des écoles et des services de garde. Ici, il est question des mères, mais aussi des grands-mères, des amies, des voisines, etc., le soutien manifesté par les femmes touchant aussi leurs enfants adultes et leur communauté. La division sexuée des tâches a eu, pendant la pandémie, des impacts sur le maintien en emploi et la progression de la carrière des femmes, de même que sur leur santé physique et mentale.
Les femmes travaillant dans le secteur du care ont été plus exposées au virus. Les femmes immigrantes sont surreprésentées dans plusieurs professions les plus exposées au virus, notamment à titre d’aide-soignante ou de préposée aux bénéficiaires. Ainsi les femmes, particulièrement les femmes racisées, ont dû assumer à la fois un plus grand risque de contamination au travail de même qu’une plus grande part du travail de soin, de garde des enfants et de l’école à la maison.
Plusieurs femmes ont quitté leur emploi – de gré ou de force – pendant la pandémie afin d’assumer les responsabilités domestiques et liées aux enfants. Les personnes moins éduquées ont été plus nombreuses à être mises à pied, dans les secteurs où le télétravail n’était pas possible. Pour celles pour qui le télétravail était possible, la conciliation travail-famille était plus difficile plus les enfants étaient jeunes ce qui se répercute sur leur santé et leur qualité de vie. Par ailleurs, le télétravail comporte des risques d’hyperconnectivité professionnelle, de stress et d’épuisement.
Santé mentale
Plusieurs facteurs pandémiques ont contribué à la dégradation de la santé mentale, particulièrement chez les femmes. La charge mentale des tâches familiales et domestiques, la précarité financière, le risque d’infection au travail ou une charge de travail accrue en sont quelques-uns. Privées de ressources communautaires pendant la pandémie, les personnes s’identifiant comme LGBTQIA+ ont souffert davantage que les personnes hétérosexuelles cisgenres sur le plan de la détresse psychologique et de la santé mentale.
L’isolement a été accentué avec les confinements successifs. Les jeunes de même que les aînés ont été fortement touchés par cet isolement. Les populations rurales et autochtones ont perçu un plus grand isolement en raison d’inégalités numériques (accès à Internet haute vitesse, etc.).
Insécurité alimentaire
Autre conséquence de la pandémie, l’augmentation de l’insécurité alimentaire au tout début de la pandémie, puis à l’été 2022 en raison de l’inflation, a touché plus fortement les jeunes adultes, les personnes vivant seules, les ménages avec enfants, les ménages défavorisés matériellement et les personnes immigrantes. Des raisons financières sont en causes, auxquelles s’ajoute une difficulté d’accès aux épiceries, notamment pour les familles monoparentales; rappelons-nous la période où l’on acceptait qu’une seule personne par ménage dans les magasins. Cette insécurité alimentaire, particulièrement présente chez les femmes et les mères, a contribué à l’augmentation de l’anxiété et des symptômes de dépression.
Violence conjugale
Les confinements, les fermetures de services communautaires et les interdictions de rassemblements ont exacerbé les violences conjugales en privant les victimes de leur réseau de soutien. De plus, la présence constante du conjoint à la maison diminue les opportunités de demande d’aide, et les difficultés financières accroissent les risques de violence conjugale. Tous ces facteurs ont concouru à une augmentation de la violence conjugale pendant la crise sanitaire, culminant avec une hausse marquée des féminicides au début de l’année 2021.
Situation de logement
Les inégalités de logement préexistantes se sont exacerbées pendant la crise sanitaire. La crise du logement s’est accentuée, les appartements de qualité à prix abordable se faisant rares. Ces conditions ont eu un impact sur la violence conjugale, le stress et la détresse psychologique, la difficulté de concilier télétravail et vie familiale de même que sur l’itinérance. Encore une fois, cet enjeu touche davantage les femmes, proportionnellement plus nombreuses à être locataires.
Pistes d’apprentissages
Malgré le fait que la pandémie perdure, des apprentissages commencent à émerger. Ainsi, on constate un recentrage sur les valeurs importantes : la famille, la santé, la solidarité, l’entraide et l’art, une volonté de vivre le moment présent et de profiter de la vie. On note également plus de prévoyance, tant en matière financière (épargne) qu’en matière alimentaire (réserves de nourriture). La pandémie aurait également permis aux gens de mieux se connaître eux-mêmes, ainsi que de mieux connaître les personnes de leur entourage. Elle aurait de plus permis à certaines personnes de prendre connaissance d’enjeux sociétaux, comme la situation des ressources humaines dans le réseau de la santé et des services sociaux.
Pistes de solutions
Plusieurs pistes sont proposées, qui demandent une action au niveau sociétal, comme l’augmentation des revenus (salaires ou prestations gouvernementales), l’amélioration des conditions de travail et des conditions de vie, la disponibilité de logements adéquats (et abordables) ou l’accès à la propriété ainsi que l’accessibilité à des soins de santé et des activités communautaires. De manière large, on mentionne également de favoriser l’éducation et la prévention. Sur un plan plus personnel, plusieurs personnes mentionnent le maintien ou l’élargissement de leur réseau social, qui s’est considérablement réduit pendant la pandémie.
Il importe d’apprendre de la crise actuelle pour mieux préparer de futures crises. Ainsi, il faut prendre en compte les effets des mesures sanitaires, car bien qu’elles aient servi à protéger les populations plus vulnérables, elles ont eu des impacts négatifs sur plusieurs personnes, principalement les femmes et les personnes marginalisées.
Pendant la pandémie, nous avons vu les inégalités de revenus diminuer en raison des mesures d’aide et transferts gouvernementaux. Le taux de faible revenu a diminué entre 2019 et 2020, principalement pour les familles avec enfants, les personnes vivant seules et les personnes aînées. On note d’ailleurs une baisse de l’insécurité alimentaire au moment où les premiers versements de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) ont été perçus. Il y a là une leçon à tirer. Des mesures sont en place, comme la hausse progressive du salaire minimum. Cependant, avec la hausse des prix à la consommation, cette hausse n’est pas suffisante. Une plus grande valorisation des professions à prédominance féminine par une meilleure rémunération serait une piste de solution à envisager. L’augmentation des prestations de dernier recours en serait une autre. La hausse du salaire minimum ou l’instauration d’un revenu de base sont aussi des pistes à envisager. Un investissement important dans le logement social serait une autre piste de solution, de même qu’un meilleur soutien aux organismes communautaires, qui soutiennent à leur tour les ménages vulnérables.
Enfin, ce rapport démontre toute l’importance de l’analyse différenciée selon les sexes pour mettre en lumière des aspects cachés d’une situation plus large.
En tant qu’acteur du développement des communautés, il est essentiel d’être sensible aux impacts croisés des enjeux auprès des populations que nous soutenons. Pour mieux percevoir les enjeux, pour mieux intervenir ou ne serait-ce que pour mieux comprendre la réalité vécue par les citoyens, prendre conscience des différentes perspectives peut nous aider.